dimanche 29 décembre 2013

Découper

Il n'y a rien de moins accessible que l'immobilisme. Il suffit de rester là, assis, debout, couché mais là , à regarder le temps grossir. la tête cogite, se fustige, les reproches approchent doucement, doucereux, tenaces quant à ce qui pourrait, devrait, se faire. Ce n'est pas confortable, seulement facile, c'est de la fatigue sur place, à portée de néant.


D'accessible il y a aussi le dérisoire, celui qui change tout à base de rien. Il y a une montagne de piles de papier ici, un cadre là bas qui n'attend qu'un clou et un marteau.


Pas loin de la montagne de papier il y a une collection de ciseaux, il reste les petits , parce qu'on les achète par paquets et qu'on ne perd que les grands , ceux qui servent, on les essaime là où on va, chez les quelques autres. Il y a au fil des pas de grands ciseaux perdus qui se rappellent de nous, on leur manque peut être autant qu'ils nous manquent. 



Quand on tend la main vers eux l'immobilisme se fige, il se tait, frémit , il sait déjà qu'il disparait. Le rituel s'entame, l'incantation est simple" juste quelques uns" puis le psaume suivant "encore un" et "encore un" dure jusqu'à ce qu'un tas se forme, qu'il s'étale, engloutisse le sol et le jeune monsieur chat qui m'accompagne avec.

Le tas se forme, les marqueurs alternent avec les ciseaux, la table à dessin avec le sol pour les plus grands, à genoux, le visage collé contre eux comme si on les recouvrait de notre souffle . L'immobilisme est mort un instant, les remarques sont mortes un instant, tu devrais, il faudrait, quo vadis?, "on ne t'aime pas dans le milieu", "tu fais du marketing", "tu devrais peindre", "tu devrais courir nu sur la banquise", "tu es un ingrat" et bla et blablalas. Là on ne dialogue pas avec des pensées pollution, on souffle, on respire, on se tait, on sourie. Le monde peut bruler, il n'est pas invité.



Les ciseaux coupent, détourent et une forêt de personnages de papier se forme, ils regardent, ils entourent. Ils ne crient pas, ils chuchotent, ils sont inexpressifs, ils bercent. Ils sont là.

Ensuite les instruments, passer sous l'eau chaude, nettoyer, préparer la colle, tacher le sol, grogner, sourire, sentir l'impatience monter comme sève et dehors, aller dehors . Il peut faire froid, chaud , mièvre, peu importe, la lumière est allumée.



Les poser au sol, sourire, les caresser contre le mur, caresser le jour, regarder, partir, les laisser derrière, vivants...


On ira voir demain parés de nos plus beaux masques en vérité.




Photos par Anaïs Tille, assistante d'homicide en immobilisme le 28 décembre 2013, featuring un collage de Béatrice Myself de la grande école tourangelle

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